Salut !
Je sors de mon hibernation pour vous refourguer un vieux texte à la demande de DavidB. En fait, il aurait préféré que j’écrive un nouveau truc, mais je viens de vous dire que j’hiberne, donc ce sera pour une prochaine fois.
C’est une vieillerie. Je la mets un peu au goût du jour parce que je suis vieux maintenant et je n’ai plus envie d’offenser mes lecteurs. Mais c’est pas impossible que ça arrive quand même.
Voila :
Je voudrais vous parler d’un truc qui m’agace (parmi tant d’autres). Un mythe contemporain ayant la vie dure : la théine !
La théine, c’est simple, ça n’existe pas.
Répétez après moi : “La théine, ça n’existe pas“.
Allez encore une fois : “La théine, ça n’existe pas”.
Voila.
N’ayez crainte, loin de moi l’idée que vous me croyiez sur parole, je vais vous expliquer le pourquoi du comment de la chose.
Oui, c’est vrai, le thé contient bien un psychoanaleptique qui, comme son nom l’indique, a pour effet de donner un léger coup de fouet à son consommateur, un peu comme peut le faire café.
Un peu comme le café… Hum… Drôle de coïncidence…
Drôle de coïncidence, effectivement, puisque dans les deux cas, il s’agit d’une seule et même drogue : la caféine.
Bon, allez, je l’avoue, quelques lignes plus haut je mentais, la théine ça existe, c’est juste de la caféine sous un autre nom. Un autre nom qui a poussé un nombre incalculable de personnes mal informées (voire parfois mal intentionnées) à propager l’idée qu’il s’agirait de deux choses différentes.
Petit cours d’histoire et de chimie
La caféine fut découverte en 1819, la théine en 1827, et c’est en 1838 qu’on a compris qu’il ne s’agissait en fait que d’une seule et même substance.
1838 ! Cela fait presque 200 ans qu’on sait que caféine et théine ne sont qu’une seule et même chose ! Et pourtant il y en a encore qui ne l’ont pas compris. Quand je vous parlais de mythes ayant la vie dure plus haut… Remarque, il y en a bien qui ne comprennent toujours pas ce qu’est l’évolution, alors pourquoi pas…
Et au passage, théine et caféine ne sont pas les deux seuls noms de cet alcaloïde. Il en existe pas mal d’autres, par exemple, la guaranine.
D’ailleurs si on veut l’appeler par son “vrai” nom, il faudra l’appeler 1,3,7-triméthyl-1H-purine-2,6(3H,7H)-dione. Je vous le concède, pas évident à se rappeler. On peut à la limite le simplifier par 1,3,7-triméthylxanthine, méthylthéobromine ou bien méthylthéophylline.
Bref, appelez-la comme vous voulez, la caféine se retrouve dans un certain nombre de plantes : le caféier, le cacaoyer, le théier, la yerba maté, le guarana pour ne citer que les plus connus. Sa formule chimique est C8H10N4O2 et ça ressemble à peu près à ça :
Pour ceux qui n’ont jamais joué au Petit Chimiste dans leur enfance, sachez qu’en noir ce sont les atomes de carbone, en rouge ceux d’oxygène, en bleu ceux d’azote et en blanc, ceux d’hydrogène.
Dans les plantes citées ci-dessus, la caféine fait plus ou moins office de pesticide naturel. Les humains en raffolent pour de toutes autres raisons.
Bien entendu, la teneur en caféine varie énormément d’une plante à l’autre. Voici quelques chiffres à titre indicatif (exprimés en pourcentage de caféine) :
- Graine d’Arabica 1,1%
- Graine de Robusta 2,2%
- Fève de Cacao 0,1 à 0,4%
- Graine de Guarana 2 à 4,5%
- Feuille de Thé 2,5 à 5%
Et là, je sais ce que le lecteur se dit :
Ouhla, mais elle est super élevée la teneur en caféine du thé, c’est bizarre ça, le thé c’est moins fort que le café ! C’est n’importe quoi ces chiffres !”
Laissez-moi finir je vous prie, si vous ne m’interrompiez pas de la sorte, vous comprendriez plus vite.
Les chiffres ci-dessus sont les teneurs dans les plantes elles-même. C’est-à-dire la quantité de caféine que vous absorberiez si vous avaliez la graine, fève ou feuille entière et fraîchement cueillie. À ma connaissance, ce n’est pas ainsi que vous consommez ces plantes. Et n’oubliez pas non plus qu’il s’agit de teneurs exprimées en pourcentages, pas en valeurs absolues.
Bon, j’ai compris, ce ne sont pas les plantes que vous mangez, et la botanique ne vous intéresse pas plus que ça.
Voici donc les quantités de caféine (exprimées cette fois-ci en milligrammes) que vous trouverez dans divers produits de consommation, peut-être que cela vous parlera plus :
- Barre de chocolat noir (43 g) 31 mg
- Barre de chocolat au lait (43 g) 10 mg
- Tasse de chocolat chaud (20 cl) 52 mg (environ 250 mg/l)
- Tasse de café moulu (20 cl) 80 à 135 mg (400 à 675 mg/l)
- Tasse de café filtre (20 cl) 115 à 175 mg (575 à 875 mg/l)
- Expresso (44 à 60 ml) 100 mg (1660 à 2270 mg/l)
- Tasse de déca (20 cl) 5 mg (25 mg/l)
- Tasse de thé noir (20 cl) 56 mg (280 mg/l)
- Tasse de thé vert (20cl) 34 mg (170 mg/l)
- Canette de Coca-Cola (35cl) 34 mg (96 mg/l)
- Canette de Red Bull (25cl) 80 mg (320 mg/l)
Donc vous voyez, même si le thé contient plus de caféine que le café dans la nature, ce n’est plus le cas dans votre tasse (les deux plantes sont passées par divers procédés entre-temps : torréfaction et ce genre de choses).
Et là, on va me rétorquer :
Oui, mais quand même, l’effet que le thé a sur moi est bien différent de l’effet que peuvent avoir le café, le coca et le reste.
Certes, mais je ne vous apprendrai rien en vous dévoilant que le café, le thé et le reste, ce n’est pas seulement de l’eau et de la caféine. Il y a un certain nombre d’autres substances ayant elles aussi des effets sur la personne qui les consommera.
Or dans le thé, il y a des tanins, et les tanins ça a – entre autres effets – celui de ralentir l’assimilation de la caféine dans l’organisme.
Et ce n’est pas tout.
Le thé contient aussi plus de théophylline et de théobromine que le café. Deux substances qui sont diurétiques et stimulantes, mais pas uniquement.
La théobromine (C7H8N4O2) que l’on retrouvera aussi dans le chocolat, est certes un stimulant, mais un stimulant doux. L’un de ceux qui affectent l’humeur de manière positive. Quant à la théophylline (C7H8N4O2) elle est aussi un bronchodilatateur.
Je m’arrête une seconde car les plus observateurs d’entre vous auront remarqué que ces deux substances ont la même formule chimique.
C’est vrai. Mais il s’agit de deux isomères différents.
Pour ceux qui dormaient pendant leurs cours de chimie, une substance chimique quelle qu’elle soit est définie par deux choses : sa formule (le nombre d’atomes par élément dans sa molécule) mais aussi son isomère, c’est à dire la forme que possède cette molécule, parce que plus une molécule sera complexe, plus il ya de combinaisons possibles pour ces atomes. Ils ne s’assembleront pas forcément de la même manière. Cette différence d’assemblage n’est pas seulement cosmétique : c’est elle qui fera que deux molécules ayant la même formule donneront deux produits bien distincts l’un de l’autre, et surtout c’est ce qui leur donnera des propriétés différentes.
Et comme un dessin vaut souvent mieux qu’une longue explication.
Voici une molécule de théobromine:
et voici une molécule de théophylline :
C’est essentiellement par l’action de ces substances (théobromine, théophylline et tanins) que le thé a des effets légèrement différents de ceux du café sur l’être humain.
Voila, vous savez tout.
Toutefois, un mystère persiste.
Pourquoi, malgré tout cela, il existe toujours un certain nombre de personnes qui restent convaincues que la théine existe en tant que substance différente de la caféine ? J’en ai même rencontrés certaines qui étaient très véhémentes voire agressives sur le sujet. Paradoxalement, c’était souvent des buveurs de thé, allez savoir pourquoi.
La réponse qui me viendrait automatiquement à l’esprit est que les gens ont souvent cette fâcheuse tendance à ne pas s’informer, voire à mal s’informer. J’ai croisé des gens qui pensaient que la théine est en fait la théophylline ou la théobromine, par exemple.
Oui, il y a de ça. Mais pas uniquement, j’en ai bien peur.
Il y a aussi des facteurs beaucoup plus sociologiques voire psychologiques. Bon pour les lignes suivantes, je vous l’avoue, je m’avance un peu, et j’engage mon jugement subjectif. Vous avez vaguement le droit de ne pas être d’accord avc moi. Mais si vous vous engagez sur cette pente glissante, la bonne humeur générale pourrait bien en être affectée.
Voyez-vous, il existe dans nos contrées certaines personnes qui souhaitent opposer, de manière plus ou moins consciente, le thé et le café.
En effet, dans certains milieux que je qualifierais de “post-hippies à fâcheuse tendance new age”, il existe un certain ressentiment anti-café, qui serait une boisson mauvaise, car stressante, énervante, de ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus et qui n’écoutent ni leur corps ni la nature, ni l’univers bien entendu.
Il n’ont pas totalement tort. Le café est un des rouages de la machine mortelle qu’est le capitalisme. Mais il en est lui aussi la victime plus que l’allié.
Mais ces gens-là (les post-hippies vieillissants, pas les capitalistes) ont eux aussi besoin de leur drogue tonifiante et légale. Et il ne peuvent accepter que la substance excitante du thé (boisson paisible, emplie de sagesse orientale, douce, féminine, yin) soit exactement la même que celle du café (boisson violente, occidentale, impérialiste, capitaliste, dure, masculine, yang).
Parfois, c’est juste inconscient et à mettre sur un manque général d’éducation et de curiosité intellectuelle.
Parfois, c’est totalement volontaire. Par exemple, quand c’est un argument commercial.
Le mot théine devient alors l’un de ces termes fourre-tout et un peu magique ou pseudo-scientifique utilisés dans le but d’attirer un certain type de clientèle (un peu comme dans les pubs pour les yaourts ou la lessive, vous savez, les bifidus actifs et autres bêtises du genre).
Note de Gator en 2024: Je vous rappelle que ce texte fut publié une première fois il y a quelques années (il y a plus de 10 ans !) et que de nos jours, je suis sans mon marécage. Je ne suis plus trop au fait des modes de la pub et quelle subtance magique nos directeurs de création marketing mettent dans les yaourts)
Vous remarquerez aussi que d’une point de vue émotionnel et sonore, caféine \ka.fe.in\ ça commence par une occlusive forte suivie de suite après par une fricative, le tout donnant une certaine violence au terme de même qu’une tonalité presque déplaisante. Alors que son côté théine \te.in\, même si ça commence aussi par une occlusive, celle-ci est beaucoup moins agressive et surtout ensuite, tout n’est que douceur et consonances aqueuses.
Donc oui certains vendeurs (et consommateurs) de thé y tiennent à leur théine qui leur sert à essayer de montrer que leur produit à eux, il est naturel et bénéfique en plus d’être exotique, et que cela fait d’eux des personnes bonnes, protectrices de l’environnement et au bon karma. Contrairement à ces mécréants ignorants qui aiment s’empoisonner au café à longueur de journée et détruire la Terre par la même occasion.
En gros.
Je retourne dans mon marécage jusqu’à la prochaine fois.
DavidB me fait vous dire que si ce genre de bêtises vous intéressent vous pouvez toujours vous abonner :
(en vrai, c’est lui qui a tout mis en page, je vais pas m’embêter avec ce genre de trucs non plus)
Bye.
Sources photos: mug de thé, molécule de caféine, molécule de théobromine, Hulk, graines de café (Isai Symens), danseurs.
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Faut vraiment être demeuré pour croire encore que la “théine” ça existe. Je veux dire, Google, quoi.
Mais j’ai jamais entendu un vendeur de thé ma parler de théine, ils sont un peu mieux renseignés, et même le bar à thé de mon quartier, aux airs d’apothicaires, tient une table approximative de ses taux de caféine.
Bon article.
Et ton paragraphe sur les bobos/écolos/hippies (quoique les catégories arbitraires c’est pas bien) est d’une vérité sans fond.
Bonjour Lays et tout d’abord merci d’être passé par ici et d’avoir laissé ce commentaire.
En fait, j’ai eu l’idée de ce post il y a quelque temps déjà suite à une mini-altercation (en ligne) avec une vendeuse de thé.
Pour les catégories arbitraires promis, je recommencerai plus (en fait, j’ai croisé 😉 )
Merci pour les infos et surtout le ton du discours, c’est très agréable à lire tout en étant instructif.
Maintenant j’ai une raison pour l’absence d’insomnie après un thé vert par rapport au café ou au coca.